Judith et Salomé: de la femme fatale à la femme héroïsée

Nous allons ici aborder deux figures féminines présentes dans des récits bibliques, Salomé et Judith.

Si leurs histoires sont différentes, certains aspects convergent, notamment la décapitation d’une figure masculine. De ce fait, l’imaginaire collectif tend à assimiler ces deux personnages via l’iconographie qui s’est développée autour d’elles : Judith et Salomé fusionnent, dans les représentations collectives, comme figures de la « femme fatale ».

A première vue, ces deux récits mettent en exergue la féminité comme elle est traditionnellement conçue dans de nombreux mythes, selon un système d’opposition binaires : la beauté et la sensualité exaltée d’une part, qui confèrent à la femme une grande puissance. D’autre part, la ruse (qui dans les deux histoires débouchent sur un meurtre), qui en fait des figures menaçantes et retorses, qui usent de la séduction pour parvenir à leurs fins.

Il conviendra de voir comment divers artistes se sont réappropriés ces histoires, et de quels sens nouveaux ils les ont chargées.

Voyons d’abord séparément chacun des deux récits.

Le premier, l’histoire de Salomé et Saint Jean-Baptiste, se retrouve sous forme de bref récits dans deux évangiles. On lira ainsi, dans l’Evangile selon Marc :

« Car Hérode lui-même avait fait arrêter Jean, et l’avait fait lier en prison, à cause d’Hérodias, femme de Philippe, son frère, parce qu’il l’avait épousée, et que Jean lui disait : « Il ne t’est pas permis d’avoir la femme de ton frère. » Hérodias était irritée contre Jean, et voulait le faire mourir. […] Un jour propice arriva, lorsque Hérode, à l’anniversaire de sa naissance, donna un festin à ses grands, aux chefs militaires et aux principaux de la Galilée. La fille d’Hérodias [traduction alternative : « Sa fille Hérodiade »22] entra dans la salle ; elle dansa, et plut à Hérode et à ses convives. Le roi dit à la jeune fille [« la fillette »23] : « Demande-moi ce que tu voudras, et je te le donnerai. » Il ajouta avec serment : « Ce que tu me demanderas, je te le donnerai, fût-ce la moitié de mon royaume. » Étant sortie, elle dit à sa mère : « Que demanderai-je ? » Et sa mère répondit : « La tête de Jean-Baptiste. » Elle s’empressa de rentrer aussitôt vers le roi, et lui fit cette demande : « Je veux que tu me donnes à l’instant, sur un plat, la tête de Jean-Baptiste. » Le roi […] envoya sur-le-champ un garde, avec ordre d’apporter la tête de Jean-Baptiste. Le garde alla décapiter Jean dans la prison, et apporta la tête sur un plat. Il la donna à la jeune fille [« la fillette »23], et la jeune fille [« la fillette »23] la donna à sa mère. »

On lira sinon, de façon plus concise dans l’Evangile selon Matthieu :

« Car Hérode, qui avait fait arrêter Jean, l’avait lié et mis en prison, à cause d’Hérodias, femme de Philippe, son frère, parce que Jean lui disait : « Il ne t’est pas permis de l’avoir pour femme. » Il voulait le faire mourir, mais il craignait la foule, parce qu’elle regardait Jean comme un prophète. Or, lorsqu’on célébra l’anniversaire de la naissance d’Hérode, la fille d’Hérodias dansa au milieu des convives, et plut à Hérode, de sorte qu’il promit avec serment de lui donner ce qu’elle demanderait. À l’instigation de sa mère, elle dit : « Donne-moi ici, sur un plat, la tête de Jean-Baptiste. » Le roi fut attristé ; mais, à cause de ses serments et des convives, il commanda qu’on la lui donne, et il envoya décapiter Jean dans la prison. Sa tête fut apportée sur un plat, et donnée à la jeune fille, qui la porta à sa mère. »

Quand à Judith, son histoire, liée au personnage d’Holoferne, est narrée dans l’Ancien Testament dans le Livre de Judith : Alors que l’armée assyrienne sous le commandement du général Holopherne assiégeait la ville de Béthulie, et que les habitants commençaient à perdre espoir, une jeune femme proposa la chose suivante pour renverser la situation. En tâchant de se faire la plus belle possible, elle se rendit auprès du général et le séduisit lors d’un banquet. Lorsque celui-ci, le soir venu, s’effondre ivre sur son lit, Judith en profite pour le décapiter.

Il s’agira pour nous, en analysant un panel de représentations des deux figures différentes, de dégager les diverses strates d’interprétation qu’en ont faites les artistes au fil du temps. On découvre rapidement que sous l’apparence d’une représentation stéréotypée de la femme séduisante et machiavélique, d’autres niveaux de sens et de mise en valeurs des deux femmes se découvrent.

Affiche du film Salomé, 1953, de W. Dieterle

L’apparition, (1876-1898), Gustave Moreau

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Salomé dansant devant Hérode, (1876), Gustave Moreau

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* Observez l’affiche du film de 1953 : dans quelle mesure peut-on dire qu’elle réduit l’image de Salomé à une unique dimension, laquelle est d’ailleurs la plus présente dans l’imaginaire commun.

* En quoi les deux œuvres de Gustave Moreau (qui comptent parmi ses œuvres les plus notables) délivrent-elles une vision bien plus complexe de mythe ?

* Observez la progression d’un tableau à l’autre : la surcharge de symboles ne délivre-elle pas une interprétation bien éloignée de l’image sensuelle vue initialement ? Analysez ces symboles et les thèmes auxquels ils renvoient.

Judith I, (1901), Gustav Klimt

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Judith II, (1909), Gustav Klimt

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Judith décapitant Holopherne, (1598), Caravage

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Judith et Holopherne, (1453-1460), Donatello

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Judith, (1840), August Riedel

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* Les œuvres de Klimt chargent l’histoire de Judith d’une sensualité et d’un machiavélisme qui ne sont pas forcément présents à l’origine. Là encore, cette symbolique est la plus présente dans nos esprits. Par quels procédés le peintre opère-il cette réinterprétation, comment met-il en valeur une sensualité crée presque ex-nihilo ?

* Voyez maintenant la seconde représentation : que nous dit la mise en scène de la place de Judith ? L’artiste ne semble-il pas davantage cautionner son geste et reporter l’aspect négatif sur d’autres protagonistes ? Encore une fois, détaillez par quels procédés.

* Enfin, voyez comment les deux dernières représentations font de Judith un personnage proprement héroïque. On a notamment interprété la sculpture de Donatello comme un symbole de la résistance florentine.

On voit ainsi, au fil de ce panorama des diverses représentations de figures mythologiques, comme la symbolique traditionnellement associée à celles-ci se stratifie et revêt des portées symboliques très diverses.

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